Patrimoine

« Saint-Pierre représente, dans son ensemble, une « ville-monument », au passé légendaire » écrit l’archéologue Serge Veuve. Avec ses 15 monuments classés et inscrits, la ville concentre 14 % des sites protégés de la Martinique. De la Maison coloniale de santé, à l’Ancien Théâtre, en passant par l’église du Fort et le cachot de Cyparis, pour l’essentiel, il s’agit de vestiges de l’éruption de 1902 révélés à l’occasion des travaux de dégagement ou lors de fouilles archéologiques.

La majorité des sites a été conservée à l’état de ruines. Sept établissements civils, quatre des édifices religieux (dont l’église du Mouillage) et quatre bâtiments militaires ont été restaurés de 1979 à 2012. En 2015, l’hôtel ville et la villa Roy Camille ont obtenu le label Patrimoine du XXe siècle, le Marché obtient son classement en 2021.

 

Paysages

  • La rade de Saint-Pierre / œuvres sous-marines

Trouvant son inspiration dans les légendes et divinités de la Caraïbe, Laurent Valère installe en 2004, à 10 mètres sous la mer dans la baie de Saint-Pierre, une sirène géante, la Manman Dlo. Cette sculpture monumentale, de 25 tonnes environ, est composée d’une tête de femme posée sur le fond sableux et d’une nageoire caudale ressortant du sable, comme si le corps de la sirène était enterré. A l’intérieur de la sculpture, on trouve une petite grotte où vont s’abriter les poissons, l’œuvre faisant office de récif artificiel. En 2015, Yémaya, la fille de Manman Dlo, est installée. Au fil des années, un récif s’est créé autour d’elles et elles attirent aujourd’hui une faune et une flore sous-marines importantes. Elles font partie des œuvres les plus grandes de l’Underwater Art. Les clubs de plongée sont font un plaisir de les faire visiter.

 

  • Le pont Roches et la rivière Roxelane

Les phases de construction : Un premier pont de bois est établi avant 1667. Cette construction sanctionne et autorise le déploiement du bourg vers le Mouillage. Il est rebâti en pierre en 1766 par un frère de la Charité, Cléophas Danton. Son arche unique surbaissée explique qu’il ait résisté aux nuées ardentes. Ces travaux complètent l’endiguement d’une partie de la rivière Roxelane réalisés entre 1734 et 1783 et témoignent d’une progressive maîtrise de l’eau. L’organisation de corps spécialisés en génie militaire et civil permet le remplacement progressif des religieux par une maîtrise d’œuvre laïque et professionnalisée.

La Roxelane, entre activités économiques et domestiques : Depuis le XVIIe siècle, l’eau de la Roxelane est utilisée pour faire fonctionner les moulins des différentes sucreries qui se sont installées sur ses berges, comme l’habitation sucrerie Levassor. Le lit de la rivière est aussi le siège d’activités domestiques où règnent les lavandières.

Au cœur de la ville : En 1807, la Savane du Fort, ou cours Napoléon, est aménagée le long de la rive sud. Initiée par le préfet colonial Bertin, cette promenade publique a joué aussi le rôle de place d’armes. Rendus nécessaires par la multiplication des échanges et par le développement urbain, différents ponts sont construits au XIXe siècle en amont et en aval : le pont Militaire, le pont Neuf et le pont Vergé.

 

  • La batterie du Morne d’Orange 

 Le morne d’Orange marque la limite sud de la ville de Saint-Pierre. L’éperon naturel est investi par les fortifications militaires dans le dernier quart du XVIIe siècle, pour pallier aux inconvénients des batteries basses qui avaient en première ligne les bateaux français, mouillant le long du rivage. Une première batterie, dénommée Sainte-Marthe apparaît sur les plans en 1693, en remplacement, semble-t-il d’une redoute de terre, mal conçue, mentionnée dès 1677. En 1759, la batterie du morne d’Orange est construite à un niveau encore plus élevé. Un siècle plus tard son abandon sera pourtant justifié, au moins en partie, par son altitude trop élevée !

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  • La Vierge des Marins

La Vierge des marins ou Notre-Dame-du-Bon-Port : Érigée en 1870 sur l’ancienne batterie désaffectée, cette statue s’élève sur un socle réalisé sans doute avec des pierres de réemploi issues du parapet défensif. Le culte marial, introduit avec la colonisation, est encouragé avec vigueur par l’Eglise au XIXe siècle alors que se développe un athéisme républicain. Jetée à bas de son socle par le souffle de la nuée ardente du 8 mai 1902, la Vierge est replacée en 1920 tandis que la ville est progressivement reconstruite et la Martinique officiellement placée sous le patronage de Notre-Dame de la Délivrande, confortant le vœu de son premier évêque émis dès 1851.

 

Patrimoine XXe siècle

  • La cathédrale Notre-Dame-de l’Assomption

Une origine dominicaine : La 1ère église du Mouillage est élevée à partir de 1654, lorsque que le gouverneur Du Parquet approuve l’installation de l’ordre des dominicains en leur facilitant l’acquisition d’un terrain au sud de la rade de Saint-Pierre. D’abord chapelle privée, l’église conventuelle accueille très vite les fidèles. La bataille navale qui oppose Français et Anglais dans la rade en 1667, entraîne la ruine de la chapelle au point que sa reconstruction est envisagée. La nouvelle église du Mouillage, Notre-Dame-du-Bon-Port, devenue paroissiale en 1684, est aussi celle des marins et flibustiers qui l’enrichissent de leurs offrandes. Elle est agrandie et réaménagée à nouveau en 1816.

La cathédrale : La création de l’évêché de Saint-Pierre et Fort-de-France suit de peu l’abolition de l’esclavage. L’église devient cathédrale en 1853 à l’arrivée du 1er évêque de Martinique, Monseigneur le Herpeur qui la dédie à Notre-Dame de l’Assomption. Elle doit être agrandie. Il faut attendre près de 10 ans pour qu’elle soit pourvue de 2 tours de 35 mètres de haut. Des cloches sont ensuite installées et l’intérieur considérablement enrichi : orgues aux registres élargis, dallage, grille de fer forgé et vitraux pour le chœur, couronne d’or pour la Vierge lors des fêtes.

Une résurrection : Après sa destruction en 1902, la reconstruction de la cathédrale est entreprise dès 1923, mais elle n’a plus qu’un lointain rapport avec la précédente. Seul le niveau inférieur, épargné par les nuées ardentes est conservé dans le nouvel édifice. On doit au plasticien Victor Anicet les verrières de la Résurrection, réalisées dans l’atelier Simon Marq. Les verrières ornent la façade depuis 2006. Ces vitraux ont été conçus pour le centenaire de la catastrophe de 1902. Toutefois, une étude commanditée par la DAC en 2005, atteste de la situation de vulnérabilité de l’édifice. En 2010, après une étude de diagnostic du bâtiment, les autorités entreprennent les travaux de réhabilitation dont Pierre Bortolussi, l’Architecte en Chef des Monuments Historiques (ACMH), est le maître d’œuvre. Le coût total de l’investissement s’élève à près de 7 millions € financés par les Fonds européens, le ministère de la Culture et de la Communication – DAC Martinique, la Collectivité Territoriale de la Martinique et la Ville. Elle sera ainsi reconstruite à l’identique d’avant la catastrophe de 1902. Fin des travaux : 2023.

  • La Maison de la Bourse

La chambre de commerce :  Les bureaux du commerce destinés à représenter les intérêts des professions commerciales et industrielles sont créés par l’ordonnance de 17 juillet 1820. D’abord située à l’extrémité nord de la place Bertin (place Félix Boisson actuelle), la chambre de commerce est déplacée et remplacée par le service des douanes à partir de 1857. Edifiée avec des éléments préfabriqués en bois de fonte, cette ultime chambre de commerce aurait été construite après le phare qui date de 1883. Sa façade nord portait une horloge et un calendrier, attribut de la fonction du bâtiment où se réunissaient commerçants, négociants, capitaines de navires, agents de change et courtiers. Le bâtiment est rasé en 1902.

La Maison de la Bourse retrouvée : La bâtiment actuel a été reconstruit à l’image de l’ancienne chambre de commerce et sur les fondations d’origine par Gérard Jacqua, architecte des Bâtiments de France. Les vastes volumes ventilés par de multiples persiennes, la galerie périphérique au rez-de-chaussée en font un archétype de l’architecture créole. Il accueille aujourd’hui le point d’information de l’Office de Tourisme.

La Maison Charpentier : Paule Charpentier (1910-2004) artiste peintre et professeur d’arts plastiques, créa dans le bâtiment reconstruit sur les fondations de la 1ère chambre de commerce la 1ère galerie d’art de la Martinique. Epouse d’Hector Charpentier père (1910-1983), enseignant et peintre autodidacte, elle est également la mère d’Hector Charpentier fils, artiste fondateur de la figurabstraction, association du figuratif et de l’abstrait.

  • Le marché couvert

Quand la vie reprend ses droits : La place Bertin et plus globalement la partie sud du quartier du Mouillage sont le point de départ de la réappropriation du territoire dévasté par les éruptions de 1902. Elle accueille au moins à partir des années 1920 et peut-être avant, un marché de plein air situé à proximité du bassin de l’ancienne fontaine Agnès. C’est le siège et le signe d’une reprise de l’activité économique, certes modeste, et le premier lieu d’une sociabilité retrouvée.

Le nouveau marché couvert : Entre 1923 et 1925, un marché couvert accueille l’activité commerciale. Il scinde désormais en deux l’ancienne place Bertin. Ce marché construit sur les plans de l’ingénieur M. Mignard suit le modèle du marché en fer préfabriqué, de la 2nde moitié du XIXème siècle inspiré des halles centrales de Paris, œuvre de Baltard. Le marché du Fort, détruit en 1902, en est un parfait exemple. Les avantages de l’emploi du métal (fer et fonte) sont multiples : dégager, aérer, éclairer de vastes volumes, économiser les matériaux et donc diminuer les coûts, simplifier et rationaliser la mise en œuvre, enfin offrir des débouchés à l’industrie métallurgique française.

La réhabilitation : Des aménagements encombrent progressivement les abords et l’intérieur du marché, rendant obsolète le bâtiment qui se dégrade. L’activité commerciale se repositionne spontanément à l’extérieur du bâtiment au nord de la place Bertin. D’importants travaux de réhabilitation et de modernisation sont donc conduits par l’architecte Jérôme Nouel. Cette réhabilitation, inaugurée en 2005, participe du projet global de redynamisation du centre-bourg et de revalorisation du front de mer. Elle s’articule avec celle de la place Bertin (2002), avec la reconstruction du ponton (1991) et la restitution de l’ancienne chambre de commerce (Maison de la Bourse). Le marché couvert est classé au titre des Monuments Historiques en 2021.

L’hôtel de ville

 XIXème siècle : Les prémices d’une organisation administrative : Ce n’est qu’en 1837 que le baron Mackau, gouverneur en place, fixe la liste des municipalités, définit les pouvoirs du maire et du conseil municipal, ainsi que les modalités de gestion des revenus et des biens communaux. Le XIXème siècle voit la construction ou la reconstruction de plusieurs édifices administratifs. Le palais de justice est ainsi déplacé au nouveau quartier du centre pour être remplacé par la mairie. La construction de l’hôtel de ville au milieu du XIXème siècle, en remplacement d’une 1ère maison commune, à proximité de l’hôpital militaire conduit à la création de la rue de la Mairie aujourd’hui disparue. En 1894, le Compagnie française des câbles télégraphiques possède une station à la mairie où on trouve encore en 1895 le bureau de la West India and Panama Telegraph, reliant Saint-Pierre à Fort-de-France, la Guadeloupe, Haïti, les Etats-Unis et l’Europe.

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1902 et après : L’éruption de 1902 porte un coup fatal tant au monument qu’à l’institution. La commune de Saint-Pierre est supprimée par la loi du 10 février 1910. Le territoire de Saint-Pierre est alors rattaché à la commune voisine du Carbet. Il faut attendre 1923 pour que Saint-Pierre soit à nouveau érigée en commune. De nouveaux signes d’une activité volcanique conduisent à l’évacuation de la population en 1929. Une contribution nationale en faveur de la Martinique est alors allouée en 1930. Outre l’indemnisation des victimes, elle doit financer un plan de prévention des risques et un programme de grands travaux. Le nouvel hôtel de ville, inauguré le 11 novembre 1934, en a bénéficié directement. Son architecte n’est pas connu, mais cet édifice, tout comme l’église voisine du Prêcheur, a une certaine parenté avec l’œuvre réalisée par l’architecte Ali Tur en Guadeloupe à la même époque. Des plans de la construction datent du 24 mai 1933 et sont établis par le chef des travaux publics, Donat chef de section. Selon Jean Doucet, Louis Caillat, collaborateur d’Ali Tur est architecte de la ville de Saint-Pierre entre 1934 et 1936. L’hôtel de ville est labelisé Patrimoine du XXème siècle depuis le 15 décembre 2015.

 

Patrimoine 1902

  • Le théâtre

 Lecture architecturale : Le théâtre s’élève entre le pensionnat colonial et la prison et domine la rue Victor Hugo. Au fond de l’esplanade, une fontaine constituée par une tête de sphinx déversant son eau dans une vasque soutenue par des dauphins stylisés est adossée à un escalier monumental. Cet escalier permet l’accès au parvis et au balcon offrant une vue imprenable sur la foule bigarrée se rendant au spectacle et constituant par elle-même une attraction prisée. Sa façade d’un style néo-classique conforme au goût dominant de la fin du XVIIIème siècle et du début du XIXème siècle. Chacune des arcades donnait sur un vestibule où on peut encore voir les deux guichets. La porte centrale est celle des privilégiés qui accèdent au premier étage (le noble par excellence) alors que les entrées latérales, ouvertes sur des petits halls couverts de tomettes et pierres locales (contrairement au marbre réservé à l’entrée principale) donnent accès aux cages d’escalier en vis desservant les deuxième et troisième niveaux (dit « le poulailler »), réservés respectivement à la classe moyenne – les libres de couleur (avant l’abolition), les marins et les employés de commerce… – et au petit peuple. La décoration intérieure de la fin du XIXème siècle, réalisée par des artistes locaux et par Chapuis.

Emblème de Saint-Pierre : Un besoin de la ville : Encouragé par une politique d’amélioration, d’enrichissement et d’élargissement des centres d’intérêt de la ville, à partir du milieu du XVIIIème siècle, les besoins d’un théâtre permanent s’impose progressivement dès 1770. Le projet aboutit en 1786 grâce à l’initiative privée de quatre négociants pierrotins, quelques années avant qu’il ne soit au cœur des événements révolutionnaires qui secouent la colonie. Le théâtre, alors privé, est lourdement endommagé par le cyclone de 1813. Des travaux sont engagés et dès 1817 le nouveau théâtre restauré peut être inauguré. Dans le même temps, il devient propriétaire de la ville. C’est l’âge d’or du théâtre. En 1891, un nouveau cyclone dévaste la Martinique et le théâtre en particulier. Il faut attendre 1900 pour que ce dernier soit remis en état au prix de lourds emprunts qui conduisent le directeur à la faillite. Il n’ouvre plus qu’occasionnellement, pour les fameux grands bals de carnaval qui ont valu à Saint-Pierre une réputation sulfureuse.

Au cœur de l’évolution des mentalités : Lieu mondain avant d’être un lieu de création, le théâtre montre un certain attachement culturel au goût européen. Il est témoin des grandes évolutions sociales qui marquent la colonie. L’incident de la cocarde qui s’y déroule durant la période révolutionnaire, révèle une forte opposition entre le monde urbain et rural. Il est l’un des foyers incontournables de la créolisation de la société coloniale d’où émergent au niveau culturel contre-danse et biguine par exemple. Malgré les retours en arrière, la marche vers l’abolition devient progressivement inéluctable. Le théâtre a sa place comme lieu de sociabilité, par le brassage qu’il suppose, dans la progressive évolution des mentalités et la lutte contre le préjugé de couleur ou de race.

XIXème siècle rayonnant : A partir du rez-de-chaussée, on accède aussi à la salle de théâtre proprement dite. On peut y voir encore l’emplacement des loges grillagées, où l’on pouvait voir sans être vu, qui viennent s’appuyer à l’arrondi du mur, le plan incliné du parterre, la cage d’orchestre sous-plancher qui faisait caisse de résonnance, la scène planchée évidement. On distingue aussi le cheminement des coulisses, les accès des artistes et du café. La décoration intérieure de la fin du XIXème siècle, réalisé par des artistes locaux et par Chapuis (décorateur de l’opéra de Paris), est une fois encore conforme au goût contemporain dominant : confort et luxe du marbre, des stucs, tapisseries, des tapis et dorures. Ce théâtre attire des artistes de renom : César Ribié, la famille Olivier-Duduy, la Colin, Alberti, Renault-Raynal s’y succèdent.

 

  • La maison d’arrêt (prison)

 Un lieu de refuge. Prémices de l’abolition : Le projet initial date de 1839. Il est directement lié à la préparation de l’Abolition – considérée à juste titre comme inéluctable – mais la construction effective ne date que de 1851. La nouvelle prison d’arrêt remplace l’ancienne geôle devenue progressivement trop exiguë. L’augmentation de la délinquance et de la criminalité est logiquement liée à l’urbanisation croissante et à l’augmentation de la population des libres précédant et suivant l’abolition de l’esclavage.

L’eau inattendue : Une telle abondance de l’usage de l’eau en ces lieux est particulièrement révélatrice de la rationalisation de cette ressource naturelle et des préoccupations hygiénistes ayant cours à Saint-Pierre. La quantité d’eau distribuée dans la ville, par personne et par jour, s’élève à environ 1 000 litres d’eau de rivière et 200 litres d’eau de source vers la fin du XIXème siècle.

Le cachot de Cyparis : Louis Cyparis n’est peut-être pas le seul survivant de la catastrophe, mais sa fortune le conduit à être présenté comme tel dans le cadre d’une attraction du cirque américain Barnum. Il est aujourd’hui indissociable des représentations liées à la catastrophe de 1902. L’emplacement du cachot au pied du Morne Abel, sa position presque adossée au mur de clôture est, ses murs épais et les rares ouvertures orientées vers le sud-ouest, à l’opposé du volcan ont protégé le cachot de l’effet de souffle dû à l’explosion du 08 mai et ont évité au prisonnier un contact direct avec une entrée massive de gaz brûlants.

Le cachot de Cyparis : Illustration d’un élève du Lycée

des métiers des arts graphique Victor Anicet

  • L’hôtel de l’Intendance

 Dès 1692, le siège du gouvernement est transféré à Fort-Royal tandis que Saint-Pierre, la ville commerçante demeure le lieu de résidence de l’Intendant de justice, de police et des finances. Le lieutenant général du gouverneur est le chef suprême de la colonie, ses attributions sont d’ordre militaire. Il partage donc son pouvoir avec l’Intendant dont la fonction disparaît en 1817. Sa résidence est alors affectée au gouverneur.

Un hôtel entre cour et jardin : Après plusieurs changements d’emplacements, l’hôtel de l’Intendance se fixe au milieu du XVIIIème siècle. La résidence est constituée d’un corps de logis encadré par deux ailes en retours formant une cour à l’avant et dégageant un jardin orné d’un bassin à l’arrière. Au rez-de-chaussée se trouvent un cabinet de travail, une salle d’archives, une garde-robe et une salle pour les audiences publiques. A l’étage se situent quatorze chambres pour l’intendant et sa suite. L’annexe est affectée aux esclaves et aux écuries. L’escalier extérieur donnant sur la rue Victor Hugo a résisté à la catastrophe. Il a été intégré au collège Louis Delgrès.

L’abolition de l’esclavage : Saint-Pierre a bâti sa richesse sur le commerce triangulaire, en étant pôle d’échange entre la métropole coloniale, la colonie vouée à la production de plantes commercialisées et le continent africain pourvoyeur de main d’œuvre. Malgré une remise en cause du système esclavagiste à la révolution, ce n’est qu’à la proclamation de la IIème République que les choses se concrétisent. L’esclavage est aboli en droit par le décret du 27 avril 1848, mais l’exécution de cette décision tarde à venir. L’émoi suscité par l’arrestation arbitraire de l’esclave Romain le 22 mai 1848 provoque une véritable insurrection. Sous la pression et craignant pour l’ordre public, le 23 mai le gouverneur Rostoland proclame du haut des escaliers de l’ancien hôtel de l’Intendance l’abolition effective et sans délais de l’esclavage. L’œuvre plastique d’Hector Charpentier rappelle le long cheminement qui a conduit à cet épisode décisif.

 

  • L’église du Fort

 Une histoire mouvementée : Dédiée à Saint-Pierre, l’église du Fort est édifiée en maçonnerie, en 1678 au plus près du bourg, en remplacement de la première église paroissiale qui devient la chapelle des Morts. Elle est desservie par les Jésuites jusqu’à leur expulsion en 1763, à la suite de l’affaire Lavalette. Ce scandale politico-financier porte le nom du préfet apostolique de Martinique dont les malversations offrirent au Parlement de Paris, majoritairement janséniste, l’occasion d’abattre la trop puissante et trop proche du pouvoir, Compagnie de Jésus. Le cyclone de 1891 est le prétexte pour agrandir l’église et la mettre au goût du jour : un éclectisme conservant la référence baroque de l’édifice initial. L’éruption du 8 mai 1902 a lieu pendant la messe de Communion Solennelle vers 8 h. Tous les communiants et leurs familles périssent dans la catastrophe.

Un peu d’architecture : Une première église sans doute partiellement en bois, la première en Martinique, est édifiée entre 1635 et 1638 à la suite du débarquement de Pierre Belain d’Esnambuc. En 1678, une nouvelle église est bâtie en maçonnerie à l’initiative semble-t-il du père Farganèle, au plus près du bourg naissant, à son emplacement actuel. Le plan est en croix latine avec une tour-clocher indépendante. La façade s’orne d’un portail dorique avec un fronton triangulaire. Les ruines actuelles correspondent à la reconstruction de la fin du XIXe siècle, achevée en 1899 sous le sacerdoce de l’abbé Hurard. Le maître d’œuvre est Emile T’Fla Chebba, conducteur des Ponts et Chaussées.

 

  • La Maison coloniale de Santé

 Une institution d’avant-garde : Fondé dès 1837 sur l’initiative du Dr Devèze, Directeur de l’hôpital militaire de Saint-Pierre, la Maison coloniale de Santé, institution privée, ouvre ses portes en 1839, faisant suite à la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés. Le service est assuré par les religieuses de Saint-Paul, également présentes à l’Asile Bethléem. Le Dr Ruftz de Lavison, médecin consultant, dénombre que 439 aliénés ont été accueillis dans l’établissement entre 1839 et 1853. Il estime qu’ils constituent les deux tiers des malades mentaux de la Martinique. Après l’abolition de l’esclavage, il note une augmentation sensible du nombre de malades qui jusque là étaient gardés sur les habitations, le coût de l’hospitalisation décourageant les propriétaires d’y envoyer leurs esclaves. L’ensemble du personnel soignant et des pensionnaires périrent lors de l’éruption du 08 mai 1902.

Isoler pour guérir : Hôpital psychiatrique d’avant-garde, la Maison coloniale de Santé est constituée à partir de 1838 par le rachat successif de maisons privées aux confins de la zone urbanisée du Fort. Située en contrebas des Bureaux du Génie, elle a bénéficié et perfectionné à des fins thérapeutiques l’ingénieux système hydraulique alimenté par le canal du Fort tout en tirant partie de la proximité de la rivière Roxelane offrant quiétude et isolement. On peut pourtant voir coexister la salle d’hydrothérapie la plus moderne avec les cellules d’isolement et sièges de force d’un autre âge. Dégagé pour moitié par les archéologues, l’établissement se répartit aujourd’hui en trois divisions, comme autant de quartiers répondant aux différents états des malades, s’étageant sur deux niveaux artificiels établis sur des remblais retenus du côté de la rivière par un imposant mur de soutènement. Un troisième niveau aménagé en jardin à partir de 1856 s’étendait entre la rivière Roxelane et le mur de soutènement principal.

 

  • Les Bureaux du Génie

 Une habitation : Fondés entre 1667 et 1675, les anciens bureaux du Génie étaient autrefois une des premières habitations de la colonie, l’habitation Levassor. Devenue ensuite habitation sucrerie Hardy-Desruisseaux, l’habitation démembrée permet et favorise, au milieu du XVIIIe siècle, l’extension de l’urbanisation du quartier du Fort appelé la Nouvelle Cité. A partir de 1772, au bout de la rue Levassor, une maison privée marque la limite de la ville. Le site actuel en a conservé la maison principale et les dépendances du niveau supérieur.

Un hospice civil : Les bâtiments tombent dans le domaine public en 1851 et deviennent hospice civil jusqu’en 1855. C’est à ce moment que sont construits les trois terrasses superposées, l’escalier central et les deux bassins de la terrasse intermédiaire. Cette architecture est fortement marquée par les modèles de l’architecture à la française héritée du XVIIe siècle. La mise en place de l’ingénieux système hydraulique qui alimente l’ensemble du site daterait de cette même période.

Les bureaux du Génie et des Ponts et Chaussées : Cet édifice abrite, à la suite d’un échange entre l’hospice et la caserne d’artillerie désaffectée de la rue Hurtault, les services militaires des bureaux du Génie et des Ponts et chaussées, puis le seul service du Génie à partir de 1862. L’établissement administratif est détruit par l’éruption de la Montagne Pelée du 8 mai 1902. Les lieux ont été par la suite réoccupés, sur la couche de destruction, pour l’élevage de coqs de combat et la production de cassave (galette de farine de manioc cuite).

 

Sites peu fréquentés, à accès limité ou non accessible au public

  • L’asile Bethléem, la chapelle de l’abbé Gosse

 Une origine incertaine : Dès 1866 et jusqu’en 1875, la Conférence de Saint-Vincent de Paul semble confier aux sœurs de Saint-Paul de Chartres l’asile Bethléem. Pourtant, la plaque tombale de l’abbé Gosse reposant dans la chapelle lui attribue la fondation de l’établissement 10 ans plus tard. L’établissement est dévolu d’une part aux soins des personnes âgées et d’autre part à ceux des enfants abandonnés. A la mort de ses parents, Laure Duchamps de Chastaignée est appelée par le président de la Conférence de Saint-Vincent de Paul pour devenir la directrice et l’infirmière de l’asile. Dévouée jusqu’à la mort, à la vieillesse et à la maladie, elle refuse de quitter Saint-Pierre quand le volcan entre en éruption. Craignant le pire, elle avait planifié l’évacuation de ses résidents par un bateau spécial supposé les évacuer au matin du 09 mai 1902. Mais le 08, Saint-Pierre disparut.

De l’asile Bethléem à la chapelle de l’abbé Gosse : Au départ des sœurs en 1875, l’abbé Gosse qui était l’aumônier de l’établissement y fait construire une chapelle. Ce sont ses murs qui sont encore debout, et c’est là qu’à sa mort en 1887, est enseveli celui qui a été aussi le curé de la cathédrale. Cette sépulture est encore aujourd’hui vénérée et entretenue par les riverains.

De la chapelle à l’asile : Cette chapelle, seul vestige d’un ensemble bien plus vaste, était bâtie sur 2 niveaux, comme l’asile, et était entièrement lambrissée de bois verni. Les malades résidaient au rez-de-chaussée et avaient directement accès à la nef de la chapelle : ceux du 1er étage pouvaient accéder au-dessus, à la galerie de la chapelle.

  • Les Magasins du Figuierruines_du_figuier.jpg

Le quartier du Figuier constitue un ensemble de locaux mitoyens situés en bordure de la rue Bouillé, en contrebas de l’ancienne batterie d’Esnotz. Ces maisons à étage datent du XVIIIème siècle. Elles auraient servi à loger les soldats qui desservaient la batterie. Cette dernière est désaffectée et transformée en promenade en 1783.

Des entrepôts maritimes : le développement du commerce maritime au cours du XVIIIème siècle a nécessité la création de lieux de stockage de marchandises embarquées ou débarquées sur la place Bertin. Ces maisons sont alors transformées en entrepôts. On y range également du matériel destiné à venir en aide aux bateaux en difficulté dans la rade. Ils sont régulièrement remaniés en fonction des mutations qui les affectent et en réponse aux différentes calamités qui s’abattent sur la ville (raz-de-marée cyclonique en particulier). Au moment de leur destruction, des activités domestiques et artisanales y sont vraisemblablement pratiquées. Ces édifices étant reliés à la rue Victor Hugo par deux calles, dont la calle des marches. Le souffle des éruptions de 1902 a détruit les façades et la plupart de murs intérieurs.

 

  • La Chapelle du lycée

 L’ancienne Maison royale d’éducation pour jeunes filles : L’Hôpital des femmes et des orphelins, établissement d’accueil fondé vers 1740 par les sœurs dominicaines, devient en 1816 la Maison Royale d’Education pour les jeunes filles. Dirigé brièvement par des laïques, l’établissement est confié à partir de 1824 à la congrégation des sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Pensionnat, orphelinat et hospice sont associés à l’école des filles.

002 histoire Saint Pierre

Le 1er lycée laïc de garçons en Martinique : Le collège colonial, établissement laïque d’enseignement secondaire pour garçon est érigé en 1880. C’est la concrétisation d’un projet déjà formulé par les abolitionnistes en 1848 et repris en 1871 par le conseil général, il traduit un des enjeux de la république. Malgré les difficultés, l’établissement étant perçu à juste titre comme le concurrent direct du séminaire-collège, et grâce aux efforts du député Marius Hurard, le collège, devenu lycée est inauguré en 1881. Les sœurs de Saint-Joseph de Cluny doivent quitter les lieux et déplacent leur pensionnat à la Consolation. Dès 1881 le lycée de garçons accueille 317 élèves et le pensionnat colonial 288 filles. On compte aussi sur lune école normale pour former une nouvelle élite. La chapelle, aujourd’hui visible sur le site, constitue une dépendance du lycée Schoelcher, sans doute héritée du l’hôpital des femmes.

 

  • Le Jardin et la chapelle de l’Evêché

 Les Dominicains, à l’origine du quartier du Mouillage : L’installation des Dominicains remonte à 1654, lorsque le seigneur-propriétaire Du Parquet facilite à l’ordre l’acquisition d’un terrain situé au sud de la rade de Saint-Pierre. Les nouveaux venus érigent alors un premier couvent et sa chapelle, à l’origine de l’église paroissiale Notre-Dame-du-Bon-Port. En 1698, le Révérend Père Labat fait reconstruire le couvent pour les pères blancs dans un style classique donnant par un escalier monumental sur un jardin à la française dont l’ordonnancement est encore lisible aujourd’hui. La Révolution française qui supprime les ordres religieux et la constitution des Biens nationaux sous le Consulat en 1802 provoquent le départ des Dominicains. L’ancien couvent des Dominicains devient en 1816 le Collège Royal Saint-Victor, établissement d’enseignement pour garçons. Il ferme dès 1818 pour des raisons budgétaires. Les bâtiments sont alors affectés au presbytère de la paroisse du Mouillage.

Le palais épiscopal : On doit à Monseigneur Le Herpeur, premier évêque de Martinique, le choix de Saint-Pierre comme lieu de résidence et du même coup la double dénomination du diocèse en Saint-Pierre et Fort-de-France. En 1852, une chapelle privée est édifiée dans l’enceinte du nouveau palais épiscopal. Aujourd’hui, seules subsistent les ruines de la chapelle et les vestiges du grand escalier qui conduisait au palais. C’est sur l’emplacement de ce palais détruit lors de l’éruption de 1902, qu’a été construit le presbytère.

 

  • La Poudrière Trouvaillant

 Au cœur du dispositif défensif : A la suite de la dernière occupation anglaise en 1816, la défense de Saint-Pierre est réorganisée. Le service du Génie a la charge de la modernisation des équipements. L’effort général confirme la prééminence de la région foyalaise dans la stratégie défensive et le recul du dispositif de Saint-Pierre. Dominant la ville et la mer, la poudrière était située à proximité de la convalescence militaire (1837-1850), remplacée par le Grand séminaire à partir de 1853. Le projet initial de construction remonte à 1841, mais elle n’est achevée qu’en 1856.

 La poudrière : La poudrière est un édifice logistique servant de lieu de dépôt pour la poudre et les explosifs. A ce titre, c’est l’un des éléments les plus importants de tout dispositif défensif. Exemple unique d’implantation en dehors de tout fort ou batterie, il est possible que la poudrière Trouvaillant ait servi de dépôt général pour le service des batteries avoisinantes. Semi-enterré, cet ouvrage, témoin d’une architecture militaire soignée, auquel la rampe donne accès, présente une salle rectangulaire voûtée en pierres, et entourée d’un chemin de ronde.

 

 

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